L’EAU ET LE DIAMANT

La Valeur et le Coût en Négociation   ou comment ne pas se tromper d’enjeux.

Par Isabelle Soubré. Le 31 Août 2023.

4€ le mètre cube d’eau potable et 4 000€ le carat de diamant.

Surprenant non ? Quand on connait l’utilité pour ne pas dire l’impérieuse nécessité de l’eau, et qu’on la compare à l’inutilité pour ne pas dire la vaine futilité du diamant.

L’eau, si utile à nos vies, est peu chère. Le diamant, si inutile à nos existences, est hors de prix.

C’est cela qu’Adam Smith ¹ en 1776 appelle le Paradoxe de l’Eau et du Diamant, c’est à dire le paradoxe entre la valeur d’usage, qui permet de mesurer l’utilité d’un bien ou d’un service par rapport à son besoin, et la valeur d’échange, qui détermine le prix au moment de la transaction, généralement fixé en fonction de l’offre et de la demande.

Il l’explique ainsi : « il n’y a rien de plus utile que l’eau, mais elle ne peut presque rien acheter (…) Un diamant, au contraire, n’a presque aucune valeur quant à l’usage, mais on trouvera fréquemment à l’échanger contre une très grande quantité d’autres marchandises ».            

Ce paradoxe évidemment, avec la prise en compte de ces deux valeurs de l’usage et de l’échange, donne une piste sérieuse pour comprendre le fonctionnement des éléments de valeur dans le cadre d’une négociation.

Imaginons une négociation d’entreprise, où, si l’on veut faire simple, le client va essayer d’acheter au prix le plus bas et le fournisseur vendre au prix le plus haut.                                                                                                       D’un côté le fournisseur a pour objectif de vendre au prix plafond, et pour y arriver il va essayer de maximiser la valeur d’usage en jouant sur la demande, par l’adaptation du produit ou du service au besoin du client. De l’autre côté, le client a pour objectif d’acheter au prix plancher, et pour y arriver il va essayer de minimiser la valeur d’échange en jouant sur l’offre, par la mise en concurrence du fournisseur.

Mesurer le prix, les coûts et toutes les facettes de la valeur

Une des clés des négociations d’affaires sera la capacité du négociateur à évaluer le prix, les coûts et toutes les facettes de la valeur.           

En ce qui concerne le prix, son évaluation requiert un niveau d’analyse plutôt simple car il suffit le plus souvent d’établir des comparaisons entre les prix du marché pour se forger une idée assez réaliste d’un niveau de prix d’achat ou de prix de vente.                         

En revanche, dès que la notion de coûts intervient, les choses se compliquent. Il faut un professionnel formé pour comprendre tous les coûts liés à un acte d’achat ou de vente, avec l’analyse des coûts internes issus de l’organisation de l’entreprise, celle des coûts externes issus du marché conjuguée à l’analyse de leur évolution dans le temps : pour un vendeur comme pour un acheteur c’est la rentabilité ou la contribution au profit de l’entreprise qui sont en jeu.

Avec la valeur, le niveau d’analyse se complexifie encore davantage car il s’agit de mesurer à la fois des éléments quantitatifs et qualitatifs, ces derniers étant plus difficilement mesurables.      

Par exemple, si l’on souhaite mesurer la valeur d’une relation commerciale, on prendra en compte des éléments quantitatifs comme le chiffre d’affaires, le volume de transaction, le délai de livraison ou le délai de paiement, tout en rajoutant des éléments plus qualitatifs comme l’image de marque ou le relationnel avec les équipes de son client ou de son fournisseur.                                                                                                                  

De plus, et cela ne simplifie pas la question, la valeur est directement liée aux compétences humaines puisqu’elle intègre des données issues de nombreux services – juristes, financiers, RH, ingénieurs, développeurs, qualiticiens, logisticiens, spécialistes du marketing, commerciaux, acheteurs – dont l’expertise permet de gérer les risques, garantir la compliance, mettre en place des processus de travail efficaces, créer des avantages concurrentiels et innover.

Pour résumer, l’évaluation du prix est simple, celle du coût est compliquée, et celle de la valeur complexe.

Or précisément, la valeur est un élément central dans un processus de négociation. Les experts négociateurs parlent de réclamation, de distribution et de création de valeur, avec de la méthode, des techniques et des outils pour y parvenir.

La valeur s’évalue indépendamment du coût

Ce que certains croient dans le monde de l’entreprise, c’est qu’en négociation, la valeur est directement et systématiquement reliée au coût, et que pour calculer la valeur il faut s’atteler à un calcul de coûts complets.

Evidemment les aspects financiers ont toujours une place décisive dans le monde de l’entreprise, et le calcul du « combien ça coûte » reste une étape inévitable en négociation. Pour autant, cette étape est insuffisante pour mesurer la valeur et de facto pour identifier les priorités. Dans toutes les négociations, y compris les négociations commerciales, les coûts ne définissent qu’une partie de la valeur et donc son évaluation est en partie décorrélée du coût et du prix.

Dit autrement, certains points de négociation auront une valeur forte et un coût faible, quand d’autres auront un coût élevé et une valeur faible.                                                                                                                           

Par exemple, accepter de faire un devis en urgence dans la journée pour un client qui va statuer dans la semaine sur la faisabilité d’un nouveau produit peut avoir une valeur forte commercialement et un coût faible si à ce moment-là, le vendeur est disponible.           

En revanche, accepter de réaliser des prototypes en urgence pour un client peut avoir un coût élevé si l’on doit modifier un planning de fabrication du fait même du court délai, et par ailleurs une valeur faible si cet essai industriel reste finalement plusieurs semaines en stock chez le client sans être utilisé.

Cette distinction entre valeur et coût ouvre le champ de beaucoup de questions très utiles qui peuvent changer le cours d’une négociation.                                                                                              

Qu’est ce qui a beaucoup de valeur pour l’autre et qui me coute peu ?   C’est ce qu’il est utile de concéder en premier, en particulier si le négociateur veut créer un climat collaboratif lors d’une négociation.                                                     

Qu’est ce qui a beaucoup de valeur pour moi et qui coute peu à l’autre ? C’est ce qu’il est souhaitable de demander à l’autre de concéder en premier, pour obtenir « facilement » une concession à valeur forte, mais aussi pour évaluer le comportement de mon interlocuteur : s’il accepte il négocie en mode collaboratif, s’il refuse il négocie en mode compétitif.

En négociation, la valeur se mesure par les intérêts en jeu

A présent reprenons l’exemple de l’eau. En France une bouteille de 50 cl d’eau minérale est vendue environ 30 centimes en supermarché et 3 euros dans un commerce d’une gare parisienne.  La différence est vertigineuse puisque le prix est multiplié par 10. Or ce n’est pas la différence de coûts (transport, stockage, distribution…) qui peut expliquer un tel écart.

Cet écart s’explique par la valeur. La valeur de la bouteille d’eau minérale augmente considérablement du fait même du lieu et du moment de l’achat : ici l’achat est effectué avant de monter dans un train, il est fait pour gérer le risque de soif lors du voyage. Qui a envie de rester assoiffé s’il n’y a pas d’eau disponible à bord, et qu’en plus, le train arrive à destination avec un retard de plusieurs heures ?

Une personne va accepter de payer un prix 10 fois supérieur à la normale si l’intérêt pour ce qu’elle achète, au moment où elle l’achète, est 10 fois supérieur à l’intérêt qu’elle porte habituellement à ce produit ou à ce service.

Précisément c’est cet intérêt qui va définir la valeur de ce qui est négocié.

L’ « intérêt » est un mot-clé chez les négociateurs. L’analyse de ses propres intérêts, l’identification des intérêts de l’autre partie et des intérêts communs, entrent dans la liste de ce qu’il est important de préparer avant toute négociation.

En situation de négociation, une erreur classique est de mal identifier ses propres intérêts ou bien de mal les hiérarchiser, et ainsi de passer du temps à négocier des points d’intérêt secondaire au détriment des points prioritaires. Une erreur d’analyse des intérêts peut même conduire à négocier contre son propre intérêt ou contre l’intérêt de l’organisation pour laquelle on travaille.                                                                  

Par exemple, un acheteur qui négocie en priorité une baisse de prix alors que diminuer le délai de livraison du composant qu’il achète est crucial pour la production de son entreprise. Ou un commercial qui va se focaliser principalement sur le niveau de remise du produit et les quantités d’achat, alors que par ailleurs le niveau de qualité requis dans le cahier des charges du client est supérieur aux standards habituels et risque de dépasser les capacités techniques de son entreprise.

Identifier ses intérêts, puis les défendre et les préserver dans le cadre de l’accord final, sont des priorités en négociation puisqu’elles conditionnent directement le résultat du négociateur en termes de valeur. De surcroit, le fait de préserver également les intérêts de l’autre partie favorise la création de valeur, ce qui donne une opportunité de maximiser les résultats, y compris pour son propre camp.                                                                                                                               

Alors, si demain vous devez négocier, comment choisir entre l’eau et le diamant ?

La réponse se situe dans la véritable valeur de ce qui se négocie autour de la table, celle-ci n’étant pas toujours située là où on le pense.

La valeur en négociation prend sa source dans nos intérêts, et ce n’est pas forcément ce qui est le plus utile.  

Par Isabelle Soubré, le 31 Août 2023. Cette publication est protégée par le droit d’auteur (article 111-1 du Code de la propriété intellectuelle) et a fait l’objet d’un dépôt enregistré.    

¹ SMITH Adam. Les Recherches sur la Nature et les causes de la richesse des nations.  W. Strahan and T. Cadell, Londres, 1776.

                                                                  

6 conseils pour une Négociation Achat réussie

La négociation d’achat est un levier d’action important pour les acheteurs. Mais ce levier peut s’avérer complexe puisqu’il se situe au croisement des besoins exprimés en interne et des marchés fournisseurs issus de l’environnement externe.

La négociation d’achat est un levier d’action important pour les acheteurs. Mais ce levier peut s’avérer complexe puisqu’il se situe au croisement des besoins exprimés en interne et des marchés fournisseurs issus de l’environnement externe.

Voici quelques conseils pour réussir au mieux vos négociations d’achats, mêmes les plus difficiles.

1.Planifiez la négociation en l’inscrivant dans le temps

Une négociation client-fournisseur s’inscrit dans un processus dont les étapes peuvent être définies par l’acheteur. Il est souhaitable d’évaluer le nombre d’entretiens ainsi que la durée nécessaires à l’obtention d’un accord fructueux. C’est d’autant plus important que la gestion du temps est un facteur clé de réussite en négociation, et que l’acheteur doit répondre à l’expression interne d’un délai de livraison.

2. Préparez votre dossier en profondeur

La connaissance du dossier augmente de façon significative les chances de réussir sa négociation : besoins, demande interne, marchés fournisseurs, risques et opportunités, freins à l’achat, objectifs cible et points de rupture, marge de manœuvre, intérêts énoncés et intérêts cachés, concessions possibles et contreparties souhaitées, équipes, acteurs à la table et hors table…

3. Evaluez le rapport de force pour adapter la stratégie

Evaluer le pouvoir des forces en présence permet d’utiliser les leviers adéquats et d’adapter sa stratégie au contexte pour atteindre ses objectifs même avec un rapport de force défavorable.

4. Séquencez la rencontre pour conduire l’entretien

Lors de la préparation de l’entretien de négociation, l’identification des différents éléments à négocier ainsi que leur hiérarchisation permettent de définir un ordre de traitement lors de la rencontre : par quoi commencer, par quoi continuer, par quoi terminer. Le négociateur qui maîtrise ce séquençage, conduit la négociation.

5. Variez les tactiques et les attitudes pour ne pas devenir prévisible

Les relations client-fournisseur s’inscrivent souvent dans le moyen terme. Dans ce cas, à force d’habitude, les négociateurs connaissent les principales méthodes et attitudes de leurs interlocuteurs. Il faudra utiliser une large palette tactique et varier les registres de comportement afin de garder l’effet de surprise comme un atout tactique.

6. Visez l’obtention de résultats tout en préservant la relation

Les négociations d’achats doivent s’inscrire dans les choix stratégiques de gestion de la relation fournisseur. Le négociateur achat aura donc la difficulté de devoir atteindre ses résultats tout en prenant en compte le type de relation mise en place avec le fournisseur. Parvenir à satisfaire les besoins internes et atteindre ses objectifs de performance tout en préservant les relations avec un fournisseur : la négociation achat est complexe parce qu’elle est porteuse de réels enjeux de performance et qu’elle se situe au carrefour de collaborations indispensables au fonctionnement de l’entreprise.

Négociation grands comptes ou ventes complexes: quelles clés pour réussir ?

L’environnement des affaires devient de plus en plus complexe et les négociations que doivent conduire les entreprises sont de plus en plus difficiles. En parallèle, le métier des achats s’est professionnalisé, installant face aux commerciaux des acheteurs de mieux en mieux formés et de plus en plus exigeants. Alors face à cette nouvelle donne, comment réussir aujourd’hui ses négociations, même les plus difficiles?

Proposé par Isabelle Soubré.

« Un négociateur stratège au centre d’une équipe »

La négociation grands comptes et la négociation en ventes complexes ont-elles de réelles particularités ?

Oui, ces négociations ont des caractéristiques qu’il faut maîtriser pour pouvoir les aborder sereinement. Tout d’abord, les négociations grands comptes sont souvent à forts enjeux, de ce fait le négociateur subit des pressions extérieures plus fortes alors même que les processus de décision chez le client sont plus longs et construits autour de multiples interlocuteurs. Quant aux ventes complexes, même s’il ne s’agit pas forcément de négociations où les montants sont élevés, pour autant elles requièrent des compétences commerciales particulières, comme la capacité à vendre des solutions, à co-construire l’offre avec différents interlocuteurs et à déceler les besoins en amont par une bonne connaissance de l’organisation client.

En fait ces deux types de négociations se rejoignent sur la longueur du processus de vente, sur la complexité des processus de décision chez le client, et sur la capacité à mettre en place une équipe dans son entreprise capable de collaborer efficacement avec l’équipe client, en répondant aux besoins formulés par de multiples interlocuteurs.

Le commercial doit donc réussir à obtenir des résultats tout en animant une équipe, cela doit demander des compétences larges…

En effet, nous avons ici affaire à un négociateur capable de rester à la fois centré sur ses objectifs de performance, en particulier si le profit potentiel est élevé, et de bâtir des relations client solides et durables, à travers la mise en place de collaborations poussées entre les deux équipes, celle de son entreprise et celle du client.

C’est un négociateur stratège qui sait, grâce à son niveau d’engagement dans la relation, atteindre ses objectifs de résultats. Il sait aussi développer sa capacité d’influence par la mise en place d’un réseau d’alliances dans le compte client et par la mise en place des bons processus entre les deux équipes : un négociateur stratège au centre d’une équipe à l’écoute des besoins de l’équipe client.

Et l’acheteur, quel est son rôle dans l’équipe client ? La professionnalisation du métier des achats qui a eu lieu au cours des vingt dernières années, n’a-t-elle pas participé à accroître la difficulté de ce type de négociation ?

La difficulté croissante des négociations provient de multiples facteurs, comme un environnement marché plus complexe, un niveau d’incertitude plus élevé, des pressions internes plus fortes réclamant des résultats court terme, une marge de manœuvre plus limitée. Il est vrai aussi que la montée en puissance de la fonction Achat a rajouté un facteur supplémentaire à cette difficulté, et qui n’est pas des moindres. L’acheteur, mieux formé, plus aguerri, plus exigeant, demande aux fournisseurs un niveau de performance mesurable, tout en n’hésitant pas à les mettre en concurrence y compris à l’échelle internationale. Cependant, le commercial ne doit pas oublier que l’acheteur lui-même subit de très fortes pressions, car il ne peut pas se permettre de se tromper sur la sélection d’un fournisseur, les enjeux de qualité, de coût ou de délai sur les achats pouvant être considérables pour l’entreprise. L’acheteur aura pour objectif de rendre l’achat le plus simple possible en diminuant les contraintes, de façon à pouvoir mettre plus facilement les fournisseurs en concurrence et à réduire le risque. La complexité augmente le nombre de freins à l’achat, autant de barrières qui diminuent la liberté stratégique de l’acheteur.

Pourrait-on aller jusqu’à dire que la complexité est un atout pour le commercial ?

Un atout certainement, mais surtout une opportunité. Le commercial doit saisir la complexité de la vente comme une opportunité : la mise en place d’une équipe complète au service du client permet de créer des processus et des liens relationnels qui demeurent la meilleure garantie pour écarter le risque d’un duel acheteur-vendeur. Qui plus est, grâce à la complexité, le négociateur pourra élargir le champ de la négociation sur de multiples variables ; or plus le nombre de variables est important, plus les opportunités de conclure un accord sont nombreuses.

En bref, si le négociateur considère la complexité comme une opportunité stratégique, il lui suffira d’utiliser toute sa créativité pour proposer des solutions, et pour mettre en place les processus clés qui rendront son entreprise indispensable à l’organisation client.  Dans ces conditions, nul doute que les négociations n’en seront que plus faciles à conduire…